Quel Graal ?
Parcourir la ville à pied, écouter ses murmures – et oui ! les murs d’Arles parlent, s’affichent, s’épaississent d’informations vernaculaires qui, au petit matin, disparaissent - , laisser son regard glisser et fixer la palette de ses couleurs chamarrées, offrir à son esprit un espace, celui de la rêverie. Ma première image en rejoignant Arles en TER, un tag de couleur rouge-sang : « Just Believe In Art ».
Cette nouvelle édition ne présente pas une « tête d’affiche ». Tant mieux !
Laissons notre instinct s’exprimer !
Direction la tour Luma, pour la beauté immersive de son environnement poly-sensoriel, et ses collections pluridisciplaires. Je me glisse dans le Live Evil (le mal vivant) d’Arthur Jafa. Le ton est immédiatement donné. Je prends un véritable coup de poing dans la gueule. C’est militant, documenté, violent. Taper dans le dur pour secouer les masses. Jafa le fait. Coup de coeur pour sa vidéo, véritable editing qui enchaine des images archétypales issues de la presse, des arts, de la communication, sur un rythme synthétique calé sur celui des battements du cœur.
Profondément remuée par le message de Jafa, je rejoins « Une avant-garde féministe ». Cette autre exposition militante questionne les droits des femmes et la visibilité des femmes artistes dans les 70’s. Fondatrice d’une galerie positionnée sur l’intime, le sujet me touche profondément. Dès les premiers regards, je me régale : le corps féminin se met en scène, dénonce, pousse les limites, questionne les thématiques du domestique (la fonction d’épouse, mère et ménagère), du sexe (le sexisme et la sexualité des femmes), de la beauté (diktats de la mode et de la publicité), de la discrimination (de couleur et de spiritualité) et enfin de l’affirmation de notre rôle dans la société. Je découvre la richesse du fonds de la collection Verbund (Vienne) composé de photographies, vidéos - performances, installations, dessins, collages que j’explore. Le temps s’étire doucement. Plus de deux cent œuvres s’offrent à moi ! J’y découvre des noms d’artistes d’Europe de l’Est, tout en m’émerveillant aussi, devant les tirages originaux de Francesca Woodman, d’Orlan, d’Elaine Shemilt, d’Elena Almeida… dont j’admire le militantisme.
L’exposition Un monde à guérir présente l’histoire de la Croix rouge (et du Croissant rouge), association fondée à Genève, il y a 160 ans. À travers des clichés de reporters de renom et d’anonymes, on y redécouvre l’histoire de la photographie et du graphisme, un siècle et demi de géopolitique, l’évolution des techniques et la mutation de notre regard sur notre monde si chahuté. Seule constance : la dignité des réfugiés à travers le regard des témoins. (Palais de l’Archevêché).
Les pépites sont cachées dans le visible et dans le moins immédiatement visible.
C’est ainsi que j’ai découvert les collages poétiques, voire chamaniques de Sky Hopinka, photographe et sociologue d’origine amérindienne (Luma). The sun comes in whenever it wants présente des entretiens, des vidéos, des photographies, des collages, des poèmes qui ouvrent un très large champ des possibles sur la beauté du Monde. Cette œuvre contemplative interroge la transmission inter générationnelle et notre lien à la Nature. J’ai particulièrement aimé la composition d’images oniriques issues de collages de photographies imprimées sur films transparents. Naissance d’un rêve d’avenir, lecture des messages venus des cieux et des sources.
Les montages de Frida Orupabo, l’artiste shoote et découpe (Luma). Ses collages sont articulés à l’aide d’attaches parisiennes Ainsi les personnages et les animaux représentés semblent se mouvoir dans l’espace de la caisse américaine !

Léa Habourdin. Images-forêts : des mondes en extension, anthotype, sauge guarani (calice des fleurs), 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Léa Habourdin, quant à elle, présente des images sénescentes « Il nous a semblé voir une forêt, ou plutôt nous avons aperçu le souvenir » laissé par la Nature (Croisière). Certains tirages sont réalisés à l’aide de la chlorophylle des plantes. Un travail subtil et sensible sur l’état de notre environnement.
Douze artistes ukrainiens sont présentés sous forme d’un montage vidéo, dans un petit espace niché dans la zone Croisière. Une pépite ! On y découvre l’âme slave tiraillée entre la contemplation, l’amour et le réel de la défense du territoire. La fragilité du monde en noir et blanc. Ces séries auraient dû être présentées dans le cadre du « Odesa photo days » en mai dernier.

Romain Urhausen. Sans titre, années 1950-1960. Avec l’aimable autorisation de Romain Urhausen / Collection de Romain Urhausen.
Dans l’exposition dédiée à Romain Urhausen, au delà des séries représentant la vie parisienne, les étalages et les forts des Halles, la grande surprise réside en la découverte de ses recherches sur la subjectivité dans la représentation des objets, de l’architecture et de la beauté féminine (années 1950-1954). Un magnifique tirage d’Otto Steinert illustre la quête du groupe dans une nouvelle représentation photographique éloignée du réel et m’a donné envie d’étudier ce mouvement et de revoir Clouzot !

Lee Miller. Femmes accusées d’avoir collaboré avec les nazis, Rennes, France, 1944. Avec l’aimable autorisation de Lee Miller Archives.
L’exposition dédiée à l’œuvre de Lee Miller présente moins de tirages que celle produite à Londres en 2007 - on peut regretter, par exemple, que ne soit pas présenté le reportage que Lee Miller fera du Blitz de Londres en 1940 -. Lee Miller est une femme plurielle, muse, mannequin, reporter de guerre... Cette exposition rend hommage à sa force de caractère et à son charisme. Les différentes vies de Lee Miller rappellent la fragilité de nos destinées. (Espace van Gogh)
J’ai surtout aimé plonger et traverser le temps dans les œuvres d’Alexandre Dupeyron. Véritable parenthèse poétique quantique de cette nouvelle édition. Ici est un ailleurs. (Fondation Manuel Rivera-Ortiz).
En marge des Rencontres, je recommande les expositions « Nicole Eisenman et les Modernes » (Fondation Vincent van Gogh), Lee Ufan (Hôtel Vernon).
Rachel Hardouin, galeriste
Galerie Rachel Hardouin, 15, rue Martel à Paris 10e, 15martel.com