Le festival ON/OFF redonne vie à la cour de l'Archevêché
Pourriez-vous nous dire ce qui vous a poussé à créer ce festival ?
Depuis 25 ans, grâce au travail inlassable de Christophe Laloi et d'Aline Phanariotis, Voies Off a accompagné par ses pulsations les Rencontres d’Arles. Combien de générations de jeunes photographes venus des cinq continents n'ont-ils pas rêvé de voir un jour leur travail projeté sur un écran géant dans la cour emblématique de l'Archevêché, de ressentir l'émotion de communier avec des centaines de spectateurs réunis le soir autour de la photographie ?

Chaque année, ces projections, ouvertes à tous, ont offert un accès gratuit à la photographie contemporaine sous toutes ses formes et aux visions de photographes du monde entier. Elles ont ainsi soutenu, encouragé et nourri la créativité de nombreux photographes à travers les différentes rencontres et découvertes qu'elles ont permis. Voies Off, c’étaient aussi des lectures de portfolios, le catalogue et la signalétique de près d'une centaine d'expositions dans la ville d'Arles. Tout cela constituait un vivier indispensable pour les photographes émergents et le public, et contribuait activement à la renommée d'Arles. Avec la fin des Voies Off, un vide est devenu palpable, et de nombreux photographes et passionnés de photographie se sont retrouvés orphelins. C'est pourquoi, lorsque la ville d'Arles a lancé un appel à candidature au printemps 2023, j'ai décidé de relever le défi de constituer une équipe pour faire à nouveau de la Cour de l'Archevêché le cœur battant d'Arles pendant les Rencontres. J'avais initialement demandé la cour des Podestats, mais c'est dans la cour de l'Archevêché que peuvent s'imposer les projections que nous voulons faire revivre.

Comment avez-vous pensé le format de ce festival ?
Tout en restant fidèle à l'esprit de Voies Off, nous avons essayé d'être au plus près des besoins des photographes et des publics d'aujourd'hui, tout en intégrant les préoccupations environnementales contemporaines. Nous sommes donc très fiers d'être soutenus par MBP, une entreprise experte et engagée qui achète et vend du matériel photographique d'occasion. La réutilisation et le recyclage du matériel photographique permettent de réduire les déchets et l'empreinte carbone des photographes, ce qui est essentiel à l'heure où chacun doit faire un effort pour limiter le réchauffement climatique. Nous partageons toutes ces valeurs écologiques mais aussi celles humaines que l’ont ressent au sein de la jeune entreprise européenne. C’est aussi pourquoi nous avons systématiquement fait appel à des entreprises ou des acteurs d'Arles ou des environs pour les prestations extérieures dont nous avions besoin. De même, dans la mesure du possible, les personnes que nous avons invitées sont venues en train à Arles. Pour limiter les déplacements en avion, des échanges en direct et à distance ont également eu lieu avec des photographes qui n'étaient pas sur place. Nous voulons vraiment être un festival responsable et soucieux de son empreinte carbone.
DES Artistes, DES Partenaires, UNE Équipe, tous conscients de l'empreinte carbone
D'autre part, au fur et à mesure de l'évolution des pratiques des photographes et de l'évolution de leur écriture photographique, nous avons veillé à proposer des éclairages sur chacune des étapes de la carrière d'un photographe. Par la diversité et la pluridisciplinarité de nos propositions, nous souhaitons accompagner cette communauté dans toutes les questions qu'elle peut se poser : lectures de portfolios, nouvelles formes d'écriture photographique, production de livres de photographies, écosystème économique et juridique du photographe, impact de la diffusion numérique sur l'avenir de la photographie, marché lié aux collectionneurs et aux collections, etc.
En journée, le programme comprend une partie ON qui favorise les rencontres et les échanges entre professionnels, avec des lectures de portfolios, des ateliers, des tables rondes et des master classes, ou encore des rencontres avec les invités de l'UPP (Union des Photographes Professionnels). Le soir, c'est le OFF, avec non seulement des projections classiques mais aussi des projections vivantes avec des interprètes qui, par leur musique ou leurs danses, accompagnent ce qui est montré – c’est sans doute la partie la plus originale de notre proposition pour cette première édition.

Qui sont les photographes que vous avez invité ?
Tous les photographes que nous avons invité pour des projections, des master-classes ou des tables rondes, qu'ils soient reconnus comme Philip Blenkinsop, Jean-Christian Bourcard ou Yann Arthus-Bertrand ou les plus jeunes lauréats de la Bourse du talent et ceux de Brasil Imprevisto sont des photographes engagés. Dans notre sens, c'est un engagement avec la photographie pour porter un message fort. Ils ne font pas de laphotographie par-là, alors il fallait leur donner la voix. Ce message peut-être politique, mais tout autant il est poétique et esthétique. C'est pour cela que la manière de montrer lors des projections a été travaillée avec l'improvisation musicale pour que nous puisions encore mieux voir et entrer dans les images.
le rôle du Off, C'est aussi de montrer les ARLésiens
Les Rencontres font parfois de l'ombre aux photographes locaux, c'est pourquoi nous avons invité certains de ces photographes qui vivent à Arles. Je pense aux immenses Philip Blenkinsop et Jean-Christian Bourcard, mais aussi à la jeune photographe Marie Sophie Danckaert qui représente si bien sa génération. C'est aussi le rôle du Off que de montrer ces photographes qui nous sont proches à Arles.
Les musiciens du Philarmonique de la Roquette qui se sont donnés pendant cinq jours au public de la photographie sont d'Arles. Jamais lors du moment des Rencontres d'Arles, on ne leur avait confié, ce rôle si important que de montrer les images tout au long de la semaine. Ils ont été extraordinaires. Oui réellement, ils se sont donnés aux images pour transmettre l'esprit de la photographie. Physiquement, ils nous ont traduit le message porté par les images. La musique, cette résonance magique, a rendu, grâce a l'improvisation parfois jazz, les images vivantes. Une véritable vibration de l'émotion qui a touché le public.
Je dois parler encore des prises de vue réalisée par Iris Brosch avec les habitants de Griffeuille grâce à Habiba Chideckh et Aimée Sara Bernard. Nous voulions les inviter dans la cour de l'Archevêché. Ils devaient faire partie de cette photo de groupe avec Arlésiens.

Comment avez-vous imaginé ces performances ?
Aujourd'hui, avec le développement de la technologie numérique, les images sont partout, et tout le monde peut prendre des photos avec son smartphone. Par conséquent, la manière dont nous rencontrons les images et y prêtons attention change. Les images qui ressortent sont celles qui correspondent à de véritables expériences sensorielles, émotionnelles ou immersives. C'est pourquoi nous avons tenu à ce que des musiciens ou des danseurs soient présents sur scène pour accompagner les projections. L'enjeu pour nous était d'illustrer, tant pour les photographes présents que pour le reste du public, comment une performance donne du sens au travail photographique et modifie sa réception.
GRÂCE À L'IMPROVISATION, LES MUSICIENS aident
LE PUBLIC À entrer dans LES images
Une performance photographique nous ancre davantage dans le "ici et maintenant" et rend unique ce qui se passe sous nos yeux. Ce n'est pas une première, mais il me semble que c'était relativement inédit à cette échelle, et surtout à Arles. Je crois pouvoir dire que tous ceux qui avaient des doutes sur la valeur de ces performances avant d'y assister ont été bouleversés de voir ces artistes exprimer et traduire dans leurs improvisations ce qu'ils ont ressenti en découvrant ces images en même temps que le public. Voir des personnes qui, après seulement quelques minutes de préparation, parviennent à "entrer" musicalement ou corporellement dans une œuvre photographique dont elles ignoraient tout quelques heures auparavant montre non seulement la puissance de la photographie et de son langage, mais aussi la possibilité que nous avons d'établir des correspondances entre différents médiums. Cette transdisciplinarité fait sans doute partie du renouveau de la photographie. Par leurs improvisations, les artistes sur scène ont montré au public comment mieux recevoir ces séries photographiques. Le résultat constitue une expérience unique.

Comment avez-vous imaginé la programmation des projections ?
Je ne peux pas entrer ici dans le détail d'une programmation aussi riche, qui s'est étalée sur cinq soirées, mais je voudrais souligner que nous avons voulu dès le départ une programmation éclectique, génératrice d'émotions, avec un focus sur les photographes français et européens, mais aussi largement ouverte sur l'international, car nous pensons que les photographes de France et d'Europe doivent regarder de près le travail des photographes des autres continents, pour mieux appréhender leurs manières d'être attentifs au monde. C'est pourquoi le Brésil a été très présent dans ce programme, notamment à travers les meilleures séries présentées au Festival photo de Paranpiacaba. Le programme Brasil Imprevisto réalisé avec Initial Labo a dévoilé aux festivaliers un pan de la «jeune création photographique brésilienne”. Autour de projections, performances, tables rondes et autres temps forts, un moment au quotidien explore des pratiques et des médias nouveaux et dialogue avec d’autres formes artistiques pour interroger la matérialité des images, leur rapport au rythme, au corps, et leur puissance de narration.
Nous avons invité les Rencontres de Marrakech avec une sélection de leurs meilleures séries. Nous avons également tenu à présenter le travail de six récents lauréats de la Bourse du Talent, un prix axé sur les nouvelles écritures documentaires et les contraintes de la médiation par l'image. Ces séries ont déjà été exposées à la Bibliothèque nationale de France, mais c'est la première fois qu'elles sont montrées dans leur intégralité.
Lors des soirées, la musique et l'improvisation donnaient à entendre les images
Les soirées ont été inaugurées par la performance saisissante de la cantatrice et photographe Cécile Rives présentée par Marcel Bataillard, le photographe et musicien. Avec Marcel, lui-même photographe, chanteur et musicien, nous avons voulu donner à entendre les images.
Au total, les séries d’une vingtaine de photographes français et internationaux ont été accompagnées d'improvisations du Philharmonique de la Roquette composé de Laurent Bernard et Julien Kamoun avec leurs invités Arthur Kamoun, Antoine Salem et Hale May. À noter en clôture, la présentation du remarquable travail photographique de Stéphane Charpentier, accompagné par l'artiste sonore américaine Alyssa Moxley, dont la performance acoustique était parfaitement adaptée pour accompagner le public vers de nouveaux territoires.
Avec Gabriel Dia, le jeune photographe qui a fait l’affiche de ON/OFF, la photographie est littéralement sortie du cadre pour inviter le public à danser le Sabar. Une danse méconnue et, pour lui, interdite car réservée aux femmes. C'est en France qu'il a redécouvert la danse. À travers la photographie, ce patrimoine musical, culturel et ethnologique du Sénégal rejoignait ainsi celui d’Arles dans une lutte festive contre les discriminations.
l’intensité de l'émotion se ressentait dans l’intensité des applaudissements
En invitant l'artiste austro-allemande Iris Brosch à documenter le repas du 7 juillet à Griffeuille, organisé par son CIQ et Habiba Chideckh, nous voulions avec Aimée-Sara Bernard de l’association JUSTE TEXTUEL, donner à ce quartier populaire d'Arles une place dans la programmation. La sincérité et l'authenticité de la relation nouée entre la photographe de mode et les habitants étaient pour nous déterminantes pour la réussite de ce projet. Iris a fait l'impossible pour traiter en un temps record les 1665 images qu’elle avait prises. C’est bien cette émotion qui a pu toucher les spectateur lors de la soirée de cloture. Nous avons senti leur émotion dans l’intensité des applaudissements.
Enfin, chaque soirée s'est terminée tard dans la nuit par un DJ set de Bruno Meyer qui est également photographe au sein du collectif Tendance Floue.

Pour cette première édition, vous avez créé le prix ON/OFF x MPB, pouvez-vous nous en parler ?
Le festival ON/OFF et son partenaire MPB ont décidé, dès cette première édition, de décerner un prix ON/OFF x MPB pour soutenir et encourager les jeunes photographes. Pour les jeunes artistes, nous savons qu'une telle reconnaissance par leurs pairs et aux yeux du public est un encouragement fort qui constitue très souvent un tremplin pour l'avenir du photographe.
Nous avons reçu près de 400 candidatures et les travaux des 12 finalistes ont été sélectionnés par un jury composé de membres de MPB, de photographes et de moi-même. Le jury a décidé de saluer par ce premier prix ON/OFF x MPB, annoncé lors de la cérémonie de clôture, un travail qui explore et met en scène les aspects narratifs et mémoriels de la photographie. Il a décerné ce premier prix à Camille & Charlotte, un duo de femmes photographes à peine sorti de l’école des Gobelins à Paris.
La mémoire réinventée dans le prix ON/OFF x MPB
Le jury a été impressionné par l'approche conceptuelle et artistique du projet. Centrant leur travail sur la question de la mémoire, elles ont choisi d'interroger des femmes pour leur demander quels objets, couleurs, sons et odeurs elles considéraient comme des traces de souvenirs auxquels elles étaient attachées. À partir de ces paroles, elles ont composé des natures mortes originales, qu'elles ont présentées sous forme de diptyques, dans lesquels les fleurs incarnent la couleur d'un souvenir. Chacun d'entre nous interprétera les éléments présents au gré de son imagination, reconstruisant ces histoires à sa manière.
Le prix de la Collection ON/OFF est allé à l’artiste italienne Alessandra Calò pour un travail très délicat portant également sur la mémoire. Il lui permettra de présenter prochainement, lors de Paris Photo, son travail à des collectionneurs.

Quel bilan tirez-vous de cette première édition ?
Il y a encore quelques semaines, beaucoup disaient qu'en si peu de temps, ce défi serait quasiment impossible à relever. Mais la toute nouvelle équipe que nous avons dû constituer très rapidement s'est révélée particulièrement efficace et engagée. Nous étions tous sur le pont du matin au soir. Tout n'a pas été parfait sur certains aspects logistiques vis-à-vis de la canicule, mais la qualité de la photographie présentée était de très haut niveau, et nous avons été très vigilants sur ce point. La fréquentation croissante des soirées tout au long de la semaine a montré que les réseaux sociaux et sans doute le bouche à oreille avaient bien fonctionné et que ce format avait commencé à retrouver son public, puisque nous avons rapidement atteint une grande capacité d'accueil. Nous avons eu entre 200 et 400 personnes chaque soir, y compris le dernier soir où nous étions en concurrence avec la Nuit de la photo. Nous avons vu des spectateurs attentifs et assidus, dont la plupart sont restés jusqu'à la fin de la programmation. Pour nous, c'est le plus grand succès.
Pour moi, qui suis un habitué d’Arles, retrouver une cour de l’Archevêché vivante où des personnes viennent spontanément pour se poser, échanger ou voir tout simplement ce qui se passe aussi bien dans la journée que le soir est une immense joie car cela correspond à un des objectifs que je m’étais fixés lorsque j’ai décidé de relever ce défi.

Comment voyez-vous la suite ?
Nous avons reçu beaucoup de retours très positifs de la part du public, notamment sur les performances, et c'est un grand encouragement pour nous. Je peux témoigner que tous les membres de l'équipe ont beaucoup appris de cette première expérience et sont enthousiastes quant à leur participation. J’aimerais beaucoup les citer : Aimée Sara Bernard, Lætitia Chauveau, Marie Sophie Danckaert, Capucine Demnard, Héloïse Gousset, Michel Grenié, Delphine Kamoun et David Muñoz. Ces derniers jours, nous n'avons cessé d'échanger des idées et de faire des analyses critiques de la semaine, afin d'imaginer des améliorations ou des ajouts pour une deuxième édition. C'est comme si l'équipe était déjà mobilisée pour faire mieux la prochaine fois. Il est vrai que l'appel à candidatures a été lancé très tardivement au printemps dernier, et que ce timing n'était pas optimal compte tenu des contraintes liées à l'organisation de ce type d'événement. La plupart des grands festivals photographiques d'été finalisent leur programme au plus tard en décembre de l'année précédente et commencent à prospecter les artistes invités et sélectionnés en septembre. Les mois qui suivent sont consacrés aux discussions avec les photographes et à la mise au point de tous les aspects logistiques. Dans le cas présent, nous avons eu moins de 3 mois pour tout finaliser. Cette contrainte de temps a été largement compensée par l'implication passionnée des services culturels, patrimoniaux et techniques de la ville d’Arles. Associant de nombreux aspects de la création culturelle, avec ses multiples manifestations, du dessin engagé aux musiques du monde, en passant par la pointe de la photographie, Arles est un lieu extraordinaire d’échange où les arts et les technologies sont en résonance. Cela permet de mieux révéler la photographie en grands formats au sein de la cour de l'Archevêché qui est un lieu focal et exceptionnel. Et nous avons maintenant d'autres idées pour l'exploiter au mieux lors de la prochaine édition, et surtout pour faire en sorte qu'elle soit suffisamment ombragée pendant la journée afin de proposer un programme qui puisse accueillir plus de participants l'après-midi. Nous sommes bien conscients qu'il nous faut également améliorer considérablement la communication de ON/OFF, en amont et pendant le festival, ainsi qu'à son issue, afin d'être au plus près de la communauté photographique et de lui apporter ce dont elle a besoin. En travaillant sur le guide du OFF, je me suis rendu compte que les galeries présentes à ARLES soit permanentes, soit fidèles à un rendez-vous estival arlésiens, ne rencontrent plus leur public de collectionneurs qui restent davantage dans les soirées privées, plutôt que de partir à la découverte de jeunes talents dans les rues de la ville. Nous étudions actuellement les moyens de les soutenir et de les défendre. Il serait dommage qu'ils quittent la ville.
En octobre ON/OFF IN ARLES SE PROJETTE À Paris
Le festival n'est pas terminé, car grâce à notre partenariat avec le Salon de la Photo, toutes les expériences révélées à ON/OFF à Arles seront décryptées lors de la Nuit de la Photo au Salon de la Photo en octobre prochain dans la Grande Halle de La Villette à Paris. Nous vous y donnons rendez-vous pour y parler de ce laboratoire vivant de la création qu'est la ville d'Arles.
Propos recueillis par Matthieu Nicolaï, le 10 juillet 202