Depuis le temps que les photographes demandaient la publication du rapport Franceschini sur l’état de la photographie en France, commandé par le ministère de la Culture en mars 2021, il aura fallu une lettre ouverte de l’UPP (Union des photographes professionnels) avec la SAIF d'autres organisations pour pouvoir enfin le consulter. Matthieu Baudeau, le président de l'organisation représentative des photographes professionnels partage son analyse des propositions du rapport Franceschini qui était tant attendu.
Un verdict sans concession : peut mieux faire !

Des propos recueillis par Didier de Faÿs, par Skype entre Arles et Paris, le 20 mars 2022.

Le rapport Franceschini, a enfin été publié après une lettre ouverte de plusieurs organisations dont l’UPP.

Oui, je n'y croyais plus ! Il aurait dû être publié il y a deux mois. Nous avons été informés le vendredi soir [le 18 mars 2022] qu'il allait être publié. Immédiatement, je me suis plongé dedans, d'autant plus que j'avais été auditionné par la mission Franceschini.

Matthieu Baudeau © Julien Hay

C’est en tant que représentant des photographes professionnels que vous aviez été auditionné par Laurence Franceschini.

Oui, j'ai été auditionné en tant que président de l'UPP, l'Union des photographes professionnels, qui représente aujourd'hui plus de 1 000 membres à jour de cotisation. Quand je dis à jour de cotisation, cela veut dire qu'au final, on touche beaucoup plus de photographes. C'est l'organisation professionnelle la plus importante en France pour représenter les photographes. Il y en a une autre qui existe, mais qui n'a pas été entendue dans le cadre de cette mission. C'est la FFPMI qui représente les artisans photographes. Donc au final, en dehors de la particularité des sociétés d'auteurs, l'UPP est la seule organisation à avoir parlé directement au nom des photographes en tant que tels.

Alors, ce rapport tant attendu, répond-il enfin aux photographes ?

Je pense que c'est un galop d’essai. Mais il y a toujours quelque chose qui manque. Il y a beaucoup de choses qui manquent.
Le rapport est en deux parties, la première est un état des lieux et la seconde propose des mesures. Cet état des lieux présente un éclairage plutôt intéressant de ce qui existe aujourd'hui sur la production photographique en France, avec quelques réserves par rapport aux codes INSEE, mais, il y a plusieurs éléments fondamentaux qui, à mon avis, manquent.
Car en aucune façon un effort n'a été fait pour une partie de la photographie que je représente puisque l'UPP représente les trois statuts de photo-journalistes, d'auteurs et d’artisans. Même si la prédominance des auteurs, évidemment, est là, je ne veux pas oublier aussi tous mes confrères, toutes mes consœurs de la photographie sociale. Rien n'a été dit sur les liens entre le ministère de la culture et le secrétariat d'état aux petites et moyennes entreprises, où les artisans sont représentés. On enlève une bonne partie de la photographie en France. Ce sont aussi des photographes. Donc ça, pour moi, c'est un point qui m'a beaucoup gêné à la lecture de ce rapport.

le ministère de la Culture parle de photographie,
mais rarement des photographes

Ensuite, toujours sur l'état des lieux ou l'existant, je reste un peu dubitatif sur le fait qu'on nous parle beaucoup des aides qui ont été mises en place par le ministère de la culture. Au sein du ministère de la culture, on nous dit qu'il y a des centaines de milliers d'euros qui sont répartis, ce qui est très bien mais à chaque fois ce sont quelques dizaines de photographes qui en bénéficient. Très bien ! Alors, je dis bravo pour ceux qui ont été élus dans ce cadre. Mais nous sommes encore quelques milliers et les autres milliers, eh bien, je ne les vois pas ! Parce que le problème, c'est que dans le cadre des mesures qui sont proposées, je ne vois rien pour ces milliers de photographes qui travaillent tous les jours. Plus précisément, on peut parler de la photographie, mais aussi des photographes. C'est ce qu'oublie souvent le ministère de la Culture, qui parle de la photographie, mais rarement des photographes.
C'est comme si, au salon de l'agriculture, une métaphore de mon collègue Pierre Ciot, le président de la SAIF (la Société des auteurs d'arts plastiques et d'images fixes), il n'y avait pas d’agriculteurs. S'il n'y avait pas d'agriculteurs il n’y aurait pas de filière agricole. Donc en photographie, c'est pareil, s'il n'y a pas de photographe, il n'y a pas d'industrie. Donc je reste, je reste sur ma faim.

je ne lis dans le rapport que des mots comme privilégier, favoriser, sensibiliser, être vigilant…
Il n'y a jamais de contraintes

Il y a une deuxième chose que je vois dans ce cadre de la photographie existante où il y a des choses intéressantes. Par exemple, quand on nous parle de plateformes qui ne respectent pas le droit d'auteur, comme Meero. Je cite : Meero ne reconnait pas la qualité dauteur des images aux photographes. Cette plateforme fait appel quasi exclusivement à des photographes exerçant sous le statut dauto-entrepreneur facturant une prestation, sans contrat de cession de droits. C'est bien. Je veux dire, ça fait longtemps qu'on en parle. Et quand je regarde ces mesures, je ne lis que des mots comme privilégier, favoriser, sensibiliser, être vigilant, mettre en place une charte. Il n'y a jamais de contraintes.
Or, nous sommes dans un pays, la France, qui est extrêmement attaché à la loi. Et la loi a des contraintes. Nous sommes dans un système de droits et de devoirs et les contraintes sont malgré tout nécessaires. C'est-à-dire que, comme pour le code de la route, nous sommes obligés de rouler à une certaine vitesse ou de mettre la ceinture de sécurité. Et nous savons que si nous ne le faisons pas, nous aurons une amende, mais tant qu'il n'y a pas de sanction ou de contrainte, il sera extrêmement difficile de défendre le photographe. Dans ce rapport, on parle beaucoup des intermédiaires, mais rarement du photographe lui-même. Et cela me pose un problème. La majorité des photographes en France travaillent de manière indépendante, sans passer par un collectif, une agence ou même un agent. Ils sont en contact direct avec le client, ou éventuellement avec une agence de communication.

Quelle est la pertinence des 31 mesures proposées pour les photographes ?

Dans les différentes mesures qui nous sont présentées, il y en a qui sont assez simples. On a essayé de balayer de façon plus large. Par exemple, le photo-journalisme, qui est souvent relégué au second plan, etc. Donc il y a eu un effort fait pour les photo-journalistes, je leur en suis reconnaissant. Ça va dans le bon sens. D'autant plus que l'année dernière il y a eu une coordination entre le ministère de la culture, le ministère de l'intérieur et les représentants des photographes à laquelle nous avons participé. Et c'était notamment la place du photographe dans le cadre des manifestations avec carte de presse ou sans carte de presse. Il y a la mesure #5 Une attention renforcée aux enjeux de la photographie dans le secteur de la presse. Ce sont de très bon vœux de fin d’année. Le système, c’est privilégier, favoriser, sensibiliser, etc., ces fameux mots que j'ai donnés tout à l'heure.
Oui, nous devons respecter les métadonnées. Oui, respecter, conserver, protéger les métadonnées des photographes. Oui, mais comment ?
Alors que dans ce domaine précis, le ministère de la culture a les moyens de contraindre avec les subventions qui seront versées aux différents organes de presse. Et ça fait dix ans qu'on en parle. On en parle, mais c'est là où je pense que le rapport manque un peu d'efficacité. En général, le ministère a les moyens de le faire, mais, ici il ne fournit pas les moyens. Ou du moins, il ne propose même pas de fournir les moyens. Cela me dérange parce que c'est plus compliqué pour d'autres choses. Pour une entreprise privée, il faut passer par la loi.
Ce sur quoi je voulais revenir, c'est la faiblesse des moyens qui sont proposés dans le cadre des mesures. Une mesure, ça veut dire qu'on fait le point sur la situation, on propose quelque chose et on le met en place. C'est ça, une mesure.
Quand je vois la mesure #8 Protéger les métadonnées et je lis que la nouvelle compétence confiée à la Hadopi (future ARCOM) […] pourrait lui permettre de développer une vigilance en terme de protection de métadonnées. La vigilance, oui. C'est bien d'être vigilant, je ne suis pas du tout en désaccord avec ça. Mais que se passe-t-il si nous ne le faisons pas ? Eh bien, je ne dis pas que tout le monde est de mauvaise foi. Mais après, s'il n'y a pas d'obligation formelle avec une sanction possible à la fin, ça ne peut pas marcher. La vigilance est bonne, mais elle n'est pas suffisante et c'est pourquoi je vais marquer dans la marge: un peu faible, la vigilance.

Des mesures un peu faibles ?

Oui, je ne vois pas de mesure générale pour tous les photographes. C'est-à-dire qu'on nous dit qu'il y a des petites choses pour quelques dizaines de photographes qui sont élus, très bien. Donc c'est un peu faible à mon avis puisqu'on ne couvre pas tous les photographes. Ici, on parle d'auteurs, donc on ne parle même pas des artisans qui ont déjà été chassés dès le départ. Ensuite, deuxième point. Les mesures en tant que telles, à part le fait qu'elles sont relativement individuelles, je ne vois pas comment elles peuvent intéresser un certain nombre de photographes, puisqu'il y a beaucoup de sujets liés à la photographie – au sens du mot photographie –, qui manquent.

Quels sont les sujets non traités ?

Pour la presse, le sujet des délais de paiement n'a pas été abordé et c'est un sujet crucial. Les photographes de presse sont payés plusieurs mois en retard, ce qui est inacceptable.

Le sujet des NFT n'a pas du tout été abordé.

Il y a la proportionnalité des revenus dans le cadre du droit d’auteur et donc le principe même du droit d’auteur de Beaumarchais. Parce que oui, on nous a parlé de l'état des lieux, mais dans les mesures, je ne le vois pas. Je ne vois rien qui nous permette de dire que mon 4x3 sera vendu plus cher que si je fais un flyer à dix exemplaires. La proportionnalité des droits et des revenus dans le cas du droit d'auteur, je ne la vois pas. Tout ce qui concerne les droits sociaux des auteurs, donc des auteurs photographes : rien !

Les sujets cruciaux des photographes
sont absents du rapport Franceschini

La preuve de l'originalité de l'œuvre où, finalement, le principe c'est de dire inversons la preuve. C'est-à-dire que ce n'est plus au photographe de prouver que son œuvre est originale, mais plutôt aux contrefacteurs de prouver que l'œuvre n'est pas originale. Rien, pas une ligne, pas un mot !

Le problème des codes Insee a été très vite abordé au tout début de l'inventaire. En effet de nombreux auteurs, qui étaient dans le code 900 – autres activités artistiques – ont été versés dans le 742, celui des artisans, permettant au rapport de dire qu'il y a eu une augmentation, alors qu'il ne s'agit que d'un transfert.

La concurrence à bas prix a été abordée dans la partie de l'état des lieux. Mais, il n’y a rien n'est dans les mesures. Je ne vois rien. Cela me dérange. Il y a un problème, surtout avec toutes ces plateformes. Il y a donc une plateforme de type Meero, c'est la première chose. Là, le photographe travaille plus ou moins mal, pas bien. Mais ensuite, il y a toutes ces banques d’images. Et là, j'en veux pour preuve que même les services de l'État utilisent des images provenant par exemple d'Adobe Stock. C'est scandaleux. J'aimerais qu'on nous dise que pour Adobe Stock, par exemple, aucun des services de l'État ne prendra plus dans les banques d'images, etc. Il est scandaleux que, par exemple, une collectivité territoriale comme le conseil départemental des Bouches du Rhône à la fin du premier confinement au printemps-été 2020 ait utilisé une photo issue d'une banque d'images. Ils ont payé très peu cher une photo d'un petit garçon blond faisant un cœur avec ses mains. Il y a suffisamment de photographes de talent autour de Marseille ou dans les Bouches du Rhône. Et là, ce sont nos impôts... alors c'est scandaleux je trouve. Et rien n'a été dit sur le fait que cela concerne tous les services de l'État, mais aussi les collectivités publiques d'une manière générale, que ce soient les collectivités locales et tous les établissements publics. Il faut que nous puissions légiférer : on utilise les services d'un photographe basé en France. Il existe des dispositions légales dans le cadre des marchés publics où nous pouvons faire appel à une forme de localisation.

Tout ce domaine de la concurrence à bas prix n'a pas été inclus dans les mesures. Pourquoi ? Parce que cela revient à ce que je disais tout à l'heure. Les mesures ne concernent que quelques aides du ministère de la Culture pour quelques dizaines de photographes élus. Donc cela ne s'adresse malheureusement pas à tous les photographes.

Le rapport indique que le photographe doit être réhabilité. Sous cette partie artistique, il s'agit de l'exposition. Le rapport indique qu'il devrait y avoir un peu plus de présence de photographes basés en France ou de photographes français ou de la scène française par rapport à la scène étrangère. Ils abordent ce sujet, mais uniquement à travers des expositions d'art, donc de la photographie d'art. C'est bien, mais qu'est-ce que la photographie d'art ? C'est 3% du marché de la photographie française, de la production. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant.

Un autre sujet qui n'a pas été bien abordé à mon avis, c'est quand on parle d'éducation à l'image, notamment le droit d'auteur de l'image. On nous en parle à la toute fin. C'est pour pérenniser et renforcer les dispositifs à l'école primaire, c'est bien, mais ce ne sont que de toutes petites choses. Ce dont nous parlons à l'UPP, ce que nous demandons, c'est qu'il y ait une véritable éducation à l'école, une sensibilisation à l'image et aux droits d'auteur liés à cette image. Je voudrais que les enfants se rendent compte que ce qu'ils prennent sur Internet n'est pas open bar et que les enfants comprennent que, finalement, derrière une photo il y a un auteur. Ce que nous demandons, c'est qu'il y ait une sensibilisation, peut-être dans les cours d'arts plastiques ou ailleurs. Mais que les enfants puissent apprendre le droit des auteurs. Et là, ils ne nous en parlent pas.

Des vœux pieux pour la photographie,
DES MESURES INSUFFISANTES pour LES photographes

Les photographes ont-ils été écoutés ?

Je vois un décalage entre l'état des lieux, qui est plutôt bon dans l'ensemble, même si on parle relativement peu du photographe en tant que tel dans son travail quotidien, et les mesures qui, pour moi, ne sont, au mieux, que des vœux pieux. Elles ne sont finalement pas suffisantes et in fine, il y a un certain nombre de sujets qui n'ont pas été abordés et pour lesquels on attend des réponses. D'ailleurs, combien de photographes ont été interviewés ?

 

Matthieu Baudeau

Matthieu Baudeau, vit à Paris. Ce photographe au profil atypique, diplômé de Sciences Po Toulouse, a tour à tour travaillé comme consultant, collaborateur de cabinet ministériel au Québec ou précepteur en Afrique avant de passer plusieurs années comme directeur dans l'administration consulaire en France. La photographie pour Matthieu Baudeau est une envie de liberté, changer de vie, quitter les bureaux pour aller vers l'autre, les autres, découvrir, faire découvrir, susciter de l’intérêt, de l’étonnement. Depuis 2021, il est président de l'UPP (Union des photographes professionnels).

Le rapport Franceschini

Par une lettre de mission du 25 mars 2021, Roselyne Bachelot, la ministre de la Culture a demandé à Laurence Franceschini d'étudier les possibilités d’améliorer et de renforcer le financement de la photographie pour répondre aux mutations profondes que connaît ce secteur dans toutes ses composantes.

La mission a commencé en avril 2021 et s’est déroulée en quatre étapes :

  • Une série d’entretiens avec les acteurs de la photographie (55 personnes auditionnées).
  • Rédaction d’un rapport d’étape comprenant une analyse du secteur et 27 propositions (structurelles, financières, législatives, règlementaires et portant sur différents segments du secteur).
  • Analyse du rapport d’étape par le Département de la photographie et la consolidation des mesures, en concertation avec les directions du ministère concernées.

  • Remise du rapport final avec 5 axes d’intervention et 31 mesures visant à renforcer et rééquilibrer les aides aux acteurs du secteur.


Le rapport Franceschini met en exergue cinq axes identifiés comme primordiaux :

  • Le respect du droit d’auteur, notamment à l’aune des nouveaux enjeux numériques et la défense dustatut des photographes ;
  • Le soutien à la création ;
  • Le soutien spécifique aux acteurs de la chaîne : agences photographiques et de presse, éditeurs delivres photo, réseaux de lieux de diffusion et de production, festivals ;
  • La protection du patrimoine photographique ;
  • Le soutien à l’éducation à l’image.
Matthieu Baudeau, le président de l'organisation représentative des photographes professionnels partage son analyse des propositions du rapport Franceschini qui était tant attendu. Un bilan sans concession : peut mieux faire !