Après un demi-siècle d’existence, la Corée du Nord est l’un des pays les plus haïs au monde, mais aussi l’un des plus méconnus. À l’évidence, la radicalité de ce paradoxe cache une réalité plus complexe que ce qu’il nous est donné à voir : guerre, famine, dissidents, programme nucléaire, parades et défilés militaires… Suivi, encadré, accompagné pas à pas tout au long de son séjour en Corée du Nord, Stéphan Gladieu invente un espace de liberté à l’intérieur du cadre qui lui est imposé. L’existence de cette série photographique dépend intimement de la relation que le photographe a su nouer avec ses hôtes. En choisissant le portrait-miroir, souvent cadré de pied, qui requiert une pose frontale et un regard direct, Stéphan Gladieu s’est rapproché de l’image de propagande et a rendu sa démarche.
La Corée du Nord a toujours été une énigme pour moi. Comment se fait-il qu’elle n’ait jamais vacillé alors que tant d’autres régimes autoritaires se sont disloqués sous l’effet des secousses provoquées par la chute du mur de Berlin, de la modernité, des réseaux sociaux ? Elle a survécu au bloc communiste qui assurait pourtant sa stabilité politique et économique ; elle a tenu bon malgré les embargos internationaux qui la faisaient suffoquer ; elle a dépassé les crises successives, qu’elles soient économiques, climatiques ou alimentaires ; elle n’a connu aucun soulèvement massif de son peuple en dépit d’un système de contrôle et de répression permanent. Les autorités nord-coréennes ont été déroutées par ma proposition de réaliser des portraits individuels.
Ma démarche “révolutionnaire” bousculait leur culture collectiviste. Pourquoi ont-elles accepté ? Dans une volonté d’ouverture, sans doute, mais aussi, je crois, parce que le concept de pose frontale, le cadre rigoureux de mes portraits leur était familier et compréhensible ; et puis le dispositif, qui flirte volontairement avec les codes de l’image de propagande, me rendait statique, prévisible et contrôlable.
Stéphan Gladieu
Avec le soutien de la School Gallery, Paris.
