Mes parents sont maintenant tous les deux décédés. Enfant, j’habitais une maison rouge. La « maison rouge » était mon adresse, c’était la maison adorée de ma mère. Fermée pendant 30 ans j’ai dû y aller avec ma sœur pour la vider en raison de sa vente imminente. La maison contient encore quelques meubles, trois pruniers, quatre orangers et toute mon enfance. Je me promène dans le jardin, il n’est pas aussi grand que dans mes souvenirs… C’est la veille de la fête, ça sera probablement poulet aux olives demain… Ma mère prépare des cornes de gazelles, dans la cour devant la cuisine… C’est l’été et l’immense fenêtre du séjour est grande ouverte. 5 Je m’approche, mon père et ma sœur sont tous les deux derrière un livre. Il y a des livres partout, mais le soir, on ne me lisait pas des histoires pour enfants, on me les racontait, c’est qu’il y a très longtemps les choses les plus extraordinaires pouvaient encore arriver… C’est la fête demain. J’aurai un ruban dans ma natte, je ne jouerai pas trop le matin pour ne pas abîmer mes chaussures, mais l’après-midi, j’aurai oublié qu’ils étaient neufs… Je regarderai ma mère se coiffer devant son miroir, peut-être qu’elle portera son caftan bleu pâle… Je ne veux pas que cette maison soit vendue, je veux la garder en cette veille de fête, en cet été éternel, engloutie, endormie, car elle n’a jamais cessé d’être mon adresse. Les images de la série sont des prises de vue dans ma maison d’enfance, mais aussi des mises en scènes qui évoquent mon enfance dans cette maison… Les tirages sont des cyanotypes virés et rehaussés à l’aquarelle, tous réalisés par moi-même. Aassmaa Akhannouch De quelle couleur sont les souvenirs ? En revisitant la maison de son enfance, à l’occasion de la vente de celle-ci, la photographe marocaine Aassmaa Akhannouch nous fait voyager dans le temps. (…) À la nostalgie des espaces vides, la photographe ajoute des images décrivant les scènes de son enfance : la préparation du repas, la séance de coiffure… Et – miracle du talent – ça sonne juste. C’est comme si les habitants de cette maison – pourtant fermée depuis trente ans – n’avaient jamais quitté les lieux ! Le procédé de tirage dont elle fait mention, à savoir du cyanotype viré et rehaussé à l’aquarelle, s’accorde parfaitement au propos et ajoute une patine aux tirages. C’est un peu comme si on rouvrait une vieille malle au grenier et qu’on tombait sur ses photographies. Un aller-retour entre présent et passé s’opère… Bref, nous voici en présence d’un Maroc éternel dont les teintes effacées mais tenaces, révèlent une belle sensibilité.